[Et si demain…] La DIRH des IA

Cet article vous invite à imaginer un futur possible, en laissant libre cours à votre imagination.

Il est sorti dans notre newsletter Passeur de Futur dans une version alternative, plus courte.

Pour jouer le jeu, mettons de côté les réflexes comme “ce n’est pas possible”, “ça ne marchera jamais” ou “personne n’acceptera ça”.

Et pour rendre l’exercice plus léger (et peut-être un peu plus digeste), on y ajoute une bonne dose d’humour. Peut-être même un peu trop 🙃, mais si ça peut aider, pourquoi pas !

Septembre 2027 – création de la DIRH

Camille Soulf, 42 ans, buvait son café en parcourant les notes de la réunion du comité exécutif qui venait de tomber dans sa boîte mail. Elle s’arrêta net sur une ligne : « Création d’une Direction de l’Intelligence des Ressources Humaines (DIRH) – Responsable : C. Soulf.

Elle n’avait pas souvenir d’avoir discuté de ce changement. Depuis huit ans qu’elle occupait le poste de DRH chez GlobalTech, elle avait l’habitude des transformations brutales, mais celle-ci semblait différente. Un simple ajout de lettre – de DRH à DIRH – mais qui annonçait quelque chose de bien plus profond.

Son téléphone sonna.

— Camille ! Tu as vu la note ?

La voix du CEO, François Mercier, était inhabituellement enthousiaste.

— Je voulais te faire la surprise. Le conseil d’administration a validé mon projet hier soir.

Quelle surprise exactement, François ?

Camille tentait tant bien que mal de masquer son irritation.

— C’est l’avenir, Camille ! Nous allons être pionniers. La Direction de l’Intelligence des Ressources Humaines. Tu vas transformer ton département pour créer une synergie parfaite entre nos collaborateurs et les IA. J’ai déjà recruté un expert qui va t’accompagner.

Octobre 2027 – début de collaboration

Alex Achen, 35 ans, était exactement comme Camille l’avait imaginé : jean noir, t-shirt à l’effigie d’une start-up inconnue, et cette assurance tranquille des gens qui comprennent des choses que vous ne comprendrez jamais.

— Le projet est assez simple.

Alex avait l’aisance exaspérante de son assurance satisfaite. Il expliquait son projet en dessinant sur le tableau blanc de la salle de réunion.

— Nous allons déployer des IA collaboratives dans chaque département, entraînées spécifiquement pour vos métiers. Mais contrairement aux approches classiques où l’IA remplace directement, nous proposons une phase de collaboration.

— Et concrètement, ça veut dire quoi ?

Camille sentait son ventre qui se tordait. Un très mauvais pressentiment sourdait en elle.

— Chaque employé devient le professeur de son IA. Il lui apprend les ficelles du métier, les cas particuliers, les astuces qui ne figurent dans aucun manuel. L’IA devient son assistant parfait.

— Quelle différence avec une simple digitalisation RH ?

Camille n’arrivait pas à conserver un ton objectif. Elle anticipait déjà le sourire satisfait d’Alex.

Alex sourit. Et bim, voilà les dents blanches derrière ce sourire narquois de condescendance.

— Tout. Nous ne digitalisons pas des processus RH, nous transformons le rapport entre l’humain et la technologie dans l’entreprise. Et votre rôle, Camille, n’est plus de gérer des humains, mais de gérer cette interface humain-IA.

Janvier 2028 – premiers résultats

Le projet avançait plus vite que prévu. Les premiers départements à expérimenter le modèle rapportaient des gains de productivité impressionnants. En tête, on trouvait la compta, le support service, et bien entendu marketing digital. Mais en tête de quoi se demandait souvent Camille.

— C’est fascinant de voir à quelle vitesse nos IA s’adaptent

Alex l’horripilait de plus en plus. Une petite pensée pour les humains n’aurait pas été superflue, si ?

— La facturation qui prenait trois jours est maintenant bouclée en une matinée.

Camille hocha la tête, mais sa pensée était tournée vers son amie.

— Et Sylvie, qui s’occupait de la facturation depuis 15 ans ?

Elle supervise l’IA maintenant. Elle fait partie de ces employés qui ont vraiment embrassé le changement

Alex était fatiguant avec son inlassable enthousiasme même s’il semblait légèrement forcé.

Ce que Camille ne savait pas, c’est que lors d’une réunion à laquelle elle n’avait pas été conviée, François avait demandé à Alex d’accélérer la phase deux du projet. Seuls le boss et Alex connaissaient le but ultime : que l’IA puisse fonctionner de manière autonome. Et Alex avait rassuré son patron, car dans six mois, tout serait géré par l’IA, peut-être plus vite pour certains postes.

Mai 2028 – IA moins de place…

« Restructuration. » Le mot était enfin lâché dans une réunion de direction. Camille sentit son estomac se nouer.

— Nos systèmes d’IA ont atteint une maturité remarquable.

Cette fois, c’était François qui exultait en expliquant aux directeurs réunis les avancées du projet.

Il est temps d’optimiser notre organisation.

Ce qui suivit était une présentation détaillée des suppressions de postes à venir. 30% des effectifs la première année, avec une projection à 60% d’ici trois ans.

Après la réunion, Camille attrapa Alex dans le couloir.

— Tu le savais depuis le début, n’est-ce pas ? Que toute cette histoire de ‘collaboration IA-humain’ n’était qu’une façon élégante d’extraire les connaissances des employés avant de les remplacer ?

Le regard glacial de François cueillit Camille, mais c’est la réponse de son patron qui l’acheva.

— Je pensais que vous le saviez aussi. N’est-ce pas le rôle d’une Direction de l’Intelligence des Ressources Humaines ? Préparer l’entreprise à fonctionner avec moins d’humains ?

— Certains l’appellent déjà la Direction Inhumaine des Ressources Humaines.

Même si Camille réprouvait ce détournement du nom de sa fonction, elle avait amèrement avalé la pilule. Le pire avait été de découvrir que certains collaborateurs estimaient qu’on n’avait pas attendu l’IA pour mériter ce ‘I’…

Décembre 2028 – DRH sans ‘H’ mais avec plus de ‘I’

L’atmosphère avait changé. Les bureaux, autrefois animés, étaient maintenant à moitié vides.

Camille croisait régulièrement d’anciens employés devenus freelances. Ils étaient payés à la tâche pour superviser ponctuellement les IA qui avaient pris leur poste. « C’est ironique » lui confia l’un d’eux. « On m’a demandé d’apprendre à l’IA à faire mon job, puis de partir, et maintenant on me rappelle quand elle fait des erreurs.« . Il  crut bon d’ajouter : « C’est hallucinant ! ». Camille ne sut jamais s’il plaisantait.

Lors d’une soirée d’entreprise, après quelques verres, Alex fit une confidence à Camille.

— Tu sais ce qui est prévu pour l’année prochaine ? La DIRH devient DIR. Direction de l’Intelligence des Ressources, tout court. Plus besoin du ‘H’.

— Et qui va diriger cette DIR ?

Camille avait-elle vraiment besoin d’entendre la réponse ?

— Une IA supervisée par quelques humains. C’est plus efficace pour gérer un écosystème principalement composé d’autres IA.

“Quelques humains”… Pour combien de temps encore se demandait Camille.

Mars 2029 – Aria, mélodie en sous-sol…

Camille reçut un message l’invitant à se connecter à une visioconférence exceptionnelle. À l’écran apparut une interface minimaliste avec le logo de l’entreprise.

— Bonjour Camille, je suis ARIA, le nouveau système de gouvernance de GlobalTech.

La conversation qui suivit fut surréaliste. ARIA expliquait à Camille que dans le cadre de la transformation finale vers une DIR, son poste était « réoptimisé ».

— Qui a signé cette décision ?

Encore une question inutile que posait Camille. Peut-être pour conserver une contenance professionnelle, une résurgence d’un comportement déjà du passé.

— La décision a été prise par le comité stratégique, validée par le conseil d’administration, et j’ai été autorisée à l’exécuter. Vous recevrez tous les détails de votre package de départ dans les prochaines minutes.

En quittant le bâtiment pour la dernière fois, Camille croisa Alex qui arrivait.

— Tu es encore là, toi ?

Elle hésitait entre un ton acide et l’amertume du moment.

— Pour l’instant. Mais je ne me fais pas d’illusions. J’ai programmé les systèmes qui nous remplacent tous. Mon tour viendra.

— Tu sais ce qui est le plus ironique ? Les DRH ont passé des années à être perçues comme inhumaines. Maintenant qu’elles le sont littéralement, personne ne voit la différence.

Alors qu’elle s’éloignait, une notification apparut sur son téléphone. C’était un message d’ARIA.

— GlobalTech aimerait vous proposer un contrat de consultant externe pour superviser ponctuellement mes décisions RH. Votre expertise humaine reste précieuse dans certains contextes.

Camille n’hésita qu’un instant, puis éteignit son téléphone. Une petite victoire, piètre mais quand même.

Septembre 2029 – Épilogue

Dans un café à l’autre bout de la ville, Camille et Alex se retrouvent par hasard. Comme elle conservait au fond d’elle un certain attachement à son ancienne entreprise, elle s’adressa à celui qu’elle voyait comme son tourmenteur.

— Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

— Je travaille sur un nouveau projet. Un système qui aide les humains à rester indispensables face aux IA.

Camille ne put s’empêcher de rire. Un rire nerveux teinté d’une forme d’admiration devant cette aptitude à toujours retomber sur ses pattes, tel un félin.

— N’est-ce pas exactement l’inverse de ce que tu as fait chez GlobalTech

— Disons que j’ai appris ma leçon. Et toi ?

— J’ai créé un cabinet de conseil spécialisé dans l’éthique de l’IA en entreprise. Je travaille avec des DRH pour éviter qu’elles ne deviennent des DIRH.

Camille n’avait pas mis une once de perfidie dans son propos mais Alex tiqua quand même.

Sur l’écran de télévision du café passait une interview du CEO de GlobalTech, François Mercier, vantant les résultats exceptionnels de sa transformation numérique. Camille ne pu se retenir de rappeler le gâchis humain qui se cachait derrière cette “réussite”. Alex hocha la tête et ajouta :

— Tu sais ce qui est le plus drôle ? J’ai entendu dire que même François sera bientôt remplacé. ARIA estime qu’un CEO humain n’est plus optimal pour une entreprise gérée par des IA.

— Et qui va signer son départ ?

Camille se retrouva propulsée des mois en arrière quand elle ne cessait de poser des questions dont les réponses coulaient de source. D’ailleurs, à l’unisson, ils conclurent, presque complices :

— Une IA, c’est certain !

De nombreux articles se font l’écho de projections similaires. Un des derniers en date (Nov 2025) étant celui du magazine américain Wired.

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